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Les dessous du contrat minier à Madagascar

Une enquête approfondie sur les arrangements opaques entre autorités politiques et entreprises étrangères dans le secteur minier malgache.

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Équipe de Rédaction

Ocean Investigation

Madagascar. Une île-continent d'une richesse géologique inouïe, où l'ilménite, le nickel, le cobalt, l'or et le zircon se monnayent à prix d'or sur les marchés mondiaux. Pourtant, pour une population malgache majoritairement plongée dans la misère noire, ce trésor du sous-sol s'est transformé en un cauchemar de corruption et d'arrangements opaques. Notre enquête lève le voile sur un système où les autorités politiques, agissant dans le secret des cabinets feutrés, ont tissé des toiles complexes avec des entreprises étrangères, sacrifiant la souveraineté nationale sur l'autel du profit immédiat.

Le Gel Favorable à la Corruption : Un Paradoxe Malsain

Le point de rupture remonte à 2011. Théoriquement, l'octroi de nouveaux permis miniers est alors "gelé". Une mesure censée apporter de l'ordre, mais qui, selon les révélations de Transparency International Initiative Madagascar, a eu l'effet inverse : elle a "favorisé la négociation entre les promoteurs de projets et les décideurs politiques" (Source 1.1). Le gel, loin d'arrêter les transactions, a simplement déplacé l'attribution des précieux permis dans une zone d'ombre, où les "paiements de facilitation et des pots-de-vin" sont devenus monnaie courante, créant un risque "élevé de corruption" (Christian Ihariantsoa, TI Madagascar - Source 1.1).

Le Cas Brûlant de Base Toliara

L'affaire de la société australienne Base Toliara dans le sud du pays est emblématique de cette période trouble. Cette société avait réussi à obtenir son permis d'exploitation dès 2012 (Source 1.1), en plein régime de transition dirigé par l'actuel Président, Andry Rajoelina. Ce permis, octroyé malgré le gel officiel, concerne le troisième plus grand projet minier du pays, focalisé sur l'ilménite et le zircon. Bien que le projet ait été suspendu ultérieurement, notamment pour des "mésententes entre le projet et les communautés locales" et un "manque de clarté sur les bénéfices que pourrait en tirer le pays" (Source 1.1), cette suspension tardive ne fait que souligner l'opacité initiale de son acquisition. Le fait même qu'un permis de cette envergure ait pu être délivré durant un moratoire témoigne d'un système politique poreux et avide de "facilitation" (Source 1.1).

Les Chiffres de la Spoliation : Des Lois Taillées pour les Prédateurs

L'attractivité de Madagascar pour les géants miniers ne tient pas au hasard, mais à des législations complaisantes érigées en boucliers pour les entreprises étrangères, souvent au détriment de l'État et des communautés locales.

  • Taux de Redevance Dérisoire : Avec un taux de redevance minière qui peut chuter à seulement 2%, Madagascar se positionne parmi les pays fiscalement les plus "attractifs" au monde, offrant des avantages écrasants aux multinationales (Source 1.3).

  • Les Conventions d'Établissement : Pour les "grands investissements" dépassant les 50 milliards d'ariary (environ 22 millions de dollars US), la Loi sur les Grands Investissements Miniers (LGIM) octroie des clauses de stabilité fiscale, juridique et douanière garanties pour 8 à 20 ans (Source 1.3). Ces contrats, souvent des "Conventions d'établissement", sont des forteresses juridiques privant l'État de sa capacité à réviser sa part du gâteau face à l'envolée des cours des matières premières.

    • QMM (Rio Tinto) : L'État malgache ne détient que 20% de la société QMM, tandis que le mastodonte Rio Tinto en possède 80% (Source 1.5). Le projet d'ilménite de QMM est un modèle où l'exploitation industrielle prend une place significative, mais où les retombées sont âprement débattues.

  • Le Labyrinthe Fiscal : Les sociétés minières incluses dans le rapport ITIE Madagascar de 2011 (publié en 2015), ont versé un total de MGA 171,47 milliards (soit 84,67 millions USD) aux administrations (Source 3.1). Des montants considérables, mais qui ne représentent souvent qu'une fraction infime des bénéfices réels tirés par les entreprises. De plus, l'opacité demeure : l'ancien numéro 4 du ministère de l'Environnement a même avoué n'avoir jamais eu accès aux contrats passés entre les entreprises pétrolières et le gouvernement (Source 1.3).

La Transparence Fissurée : Un Verrouillage Contractuel

Malgré l'adhésion de Madagascar à l'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) en 2008, l'accès aux contrats miniers reste un chemin de croix. La divulgation des contrats est une exigence essentielle de l'ITIE, censée agir comme un "puissant antidote à la corruption" (Source 3.3).

Pourtant, des sociétés clés, comme Ambatovy, un projet de nickel et de cobalt d'envergure, n'ont officiellement aucun contrat divulgué avec l'OMNIS (Office des Mines Nationales et des Industries Stratégiques) (Source 3.3). D'autres contrats, notamment les Contrats de Partage de Production dans le secteur pétrolier, comportent des clauses de non-divulgation qui cimentent l'opacité, interdisant aux parties de révéler les informations sur les opérations à quiconque (Source 3.3).

L'impact de cette opacité est catastrophique. Il érode la confiance, "favorise les activités minières illicites" et engendre une "perte de revenus pour l'État" tandis que les communautés se révoltent (Source 3.2). L'absence de transparence sur les conditions d'octroi des permis et les paiements de redevances et ristournes par les entreprises extractives est la plaie béante d'un secteur qui pourrait être le moteur du développement, mais qui n'est que le théâtre d'une spoliation orchestrée (Source 1.5).

Conclusion : Le Prix du Silence

Le secteur minier à Madagascar n'est pas seulement un gisement de minerais, c'est une boîte de Pandore remplie d'accords secrets, de faveurs politiques et de lois détournées. L'ombre qui plane sur les contrats miniers est l'ombre portée de la trahison des intérêts nationaux.

L'État malgache, miné par le manque de volonté politique et les failles de son propre cadre légal, a laissé le champ libre aux entreprises étrangères pour piller ses richesses avec une impunité effrayante. Le "prix de l'attractivité" est le prix du silence des citoyens, dépossédés et trahis. Il est urgent de déverrouiller ces contrats, de nommer les complices et d'exiger une reddition des comptes pour que le trésor de la Grande Île profite enfin à son peuple, et non à une poignée de profiteurs politiques et de multinationales sans scrupules.

Sources de l'Enquête

1.1 Transparency International/Madagascar dénonce l'opacité et le risque de corruption qui existent dans l'octroi des permis miniers (Business & Human Rights Resource Centre, 2019) 1.3 Madagascar : nouvel eldorado des compagnies minières et pétrolières (Les Amis de la Terre, 2013) 1.5 Secteur extractif à Madagascar : quel appui à la société civile ? (ResearchGate, 2016) 3.1 Rapport de Réconciliation - EITI Madagascar (EY pour ITIE Madagascar, Exercice 2011) 3.2 Évaluation des Risques de Corruption dans l'Octroi des Titres Miniers à Madagascar (Transparency International Australia, 2020) 3.3 L'Importance de la Publication et de la Transparence des Contrats Miniers (PWYP Madagascar, 2022)

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